La méprise de la « Vorstellungsrepräsentanz »

Séminaire proposé par Marjolaine Hatzfeld

La méprise de la « Vorstellungsrepräsentanz »

La pulsion, telle que Freud nous en a légué la notion, est, en sa racine, une excitation somatique qui ne peut devenir réalité psychique qu’à se fixer à une ‘représentation’ (Vorstellung), non prise en charge par la conscience (refoulement dit « originaire »), au coeur de tout refoulement ultérieur. 
« Vorstellung », c’est le terme que Freud avait sous la main pour désigner l’élément psychique de base – notion au centre d’une séculaire tradition philosophique, pour ainsi dire tombée dans le domaine public. Freud l’utilise donc, tout en « l’arrachant à cette tradition » [note 1] : les processus primaires, dominés par le facteur économique qui définit le principe de plaisir, « ne connaissent pas les jugements de valeur » [note 2]. Dans l’inconscient, ces représentations sont décomposables sans limite en éléments littéraux qui font totalement abstraction de tout sens (déplacement « libre » du quantum d’énergie d’investissement psychique d’un élément à l’autre). 
La Vorstellung freudienne n’est pas une image (Bild : on ne « (se) représente » pas la pulsion). Elle est point d’accrochage de l’excitation pulsionnelle dans l’élément du psychisme. Freud parle à son propos de Triebrepräsentanz : ce en quoi l’excitation pulsionnelle se transpose, est déléguée, « représentée » (au sens diplomatique du terme) au niveau du psychisme, dans ou par une Vorstellung. Le « représentant » de la pulsion dans l’inconscient, c’est une Vorstellung, et c’est sur elle que porte les processus du refoulement. 
Cela va tellement de soi pour Freud, qu’il se contente de l’expression Triebrepräsentant ou Triebreprâsentanz. S’il doit, une seule fois, préciser que ce représentant de la pulsion dans le psychisme est une Vorstellung, c’est parce qu’il s’avise qu’une confusion peut s’insinuer. Il faut distinguer en effet deux modes possible de représentance de la pulsion dans le psychisme : la représentation, Vorstellung, d’une part, et le quantum d’affect d’autre part, énergie pulsionnelle attachée et détachable de la représentation, ayant un destin propre dans le psychisme, distinct de celui du refoulement. 
Nous retrouvons là le fameux couple freudien, toujours en instance de divorce, de la représentation et de son affect, aussi fameux en son genre que le couple du signifiant et du signifié dans le découpage théorique du signe linguistique. L’homologie de façade n’autorise aucune superposition substantielle, sinon le trait de division interne à ces deux couples. 
Une surprise nous attend, quand nous voyons Lacan choisir de ‘rendre’ (je ne dirais pas ‘traduire’) l’expression composée : die psychische (Vorstellungs-)Repräsentanz des Triebes [note 3], non pas par ‘la représentance (ou le représentant) de la pulsion dans le psychisme sur le versant de la représentation‘ (et non pas de l’affect), mais par « le représentant de la représentation ». ‘Traduction’ qui nous laisse étourdis : en quoi la Vorstellung aurait-elle à son tour à être représentée (repräsentiert, vertreten), alors que c’est elle, la Vorstellung, qui tient lieu de la pulsion dans le psychisme, c’est elle qui effectue la fonction de représentance de la pulsion. 
Dans le contexte freudien, cette ‘traduction’ ne fait pas sens. Ce qui ne préjuge pas du, ou des sens, que Lacan va donner à ce qui vaut désormais comme une pièce détachée du corpus freudien, et qui va se mettre à vivre sa vie propre de signfiant lacanien, d’autant plus signifiant, si je puis dire, que Lacan lui conserve volontiers sa littéralité en langue allemande. 
Lacan fait basculer la représentation freudienne, si ambiguë entre sens (au niveau des processus secondaires) et non-sens (au niveau des processus primaires), du côté de l’imaginaire de la signification, et son Vortellungsrepräsentant du côté du signifiant, comme tel hors sens. D’autre part, il va compléter sa formule d’un ajout qui éclaire sa perspective : représentant de la représentation-qui-manque [note 4]. 
C’est une nouvelle définition de l’inconscient (division du sujet), une nouvelle assiette pour la pulsion (qui se dégage de son fond biologique), et toute une nouvelle problématique du signifiant qui à son tour manque dans l’inconscient (il n’y a pas de V.R de la femme), bref une nouvelle topologie du signifiant et du sujet qui se construit, dont nous suivrons quelques étapes choisies dans notre travail de cette année.

[note 1] Lacan, VII, p. 75
[note 2] Freud, 31ème conférence… NRF 1984 p. 104
[note 3] G.W. X, p.250. Cette expression est un hapax dans le texte de Freud.
[note 4] Les traits d’union sont de nous.

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Ce séminaire se tiendra à l’AGEFO, 4 rue Tessier Paris XVème, à 21h les mardis

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Une participation de 5 euros est souhaitée pour la location de la salle.